Éditeur : Editions Zoé
ISBN numérique ePub: 9782889070541
ISBN numérique PDF: 9782889070558
Parution : 2022
Catégorisation :
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Grains noirs, c’est un roman de formation, un règlement de compte avec une identité mise en jachère depuis l’enfance. D’origine marocaine, le narrateur grandit en Suisse, loin de sa famille. Il raconte ses premières années, petit garçon, adolescent puis jeune adulte, confronté malgré lui à son identité complexe : comment conjuguer le hockey sur glace, le dialecte tessinois et les sandwichs au salami avec les règles du Coran que sa mère s’efforce de lui inculquer lors de ses visites, ou la culture maghrébine qu’il découvre sans toujours la comprendre ? Fragmentaire et pointilliste, le récit se tisse autour de sensations marquantes qui lui insufflent une puissante dynamique : un portrait intime, livré sans concession. Né en 1976 en Suisse italienne, Alexandre Hmine enseigne l’italien au lycée de Lugano. Paru en 2017 en italien, son premier roman, Grains noirs, a remporté plusieurs prix littéraires. Grains noirs, c’est un roman de formation, un règlement de compte avec une identité mise en jachère depuis l’enfance. Le narrateur est confié dès sa naissance à Elvezia, une veuve vivant dans un petit village de Suisse italienne. C’est que sa mère a dix-sept ans, elle a quitté Casablanca pour éviter le déshonneur, et est venue accoucher auprès de sa sœur expatriée avant de rentrer au Maroc. Même s’il est « le basané de service » sur le terrain de foot ou qu’il est d’office le roi mage Balthazar dans le spectacle de la paroisse, le narrateur grandit chez Elvezia, à la douceur un peu rugueuse, parle le dialecte tessinois, suit passionnément les matchs de hockey sur glace de l’équipe locale et fête la fête nationale suisse. Lors de ses premières années, les racines maghrébines sont présentes mais à distance, et constituent souvent un fardeau qu’il doit endosser seul : apprendre à refuser, sans vexer, certains plats locaux car ils contiennent du porc ; subir sans broncher les remarques douteuses chez le coiffeur (« Mais quelles belles boucles, quel joli petit negretin, quel joli petit marocchin, quelles belles boucles?! ») ou carrément racistes sur le terrain de foot (« J’entends quelqu’un crier qu’il faut marquer le bougnoul ») ; tout en assistant pendant les vacances, perplexe, à l’exubérance marocaine, aux salamalecs et aux coutumes familiales, sans parvenir à développer un sentiment d’appartenance : L’éducation religieuse : « Ma mère a contacté la direction de l’école pour que je sois dispensé des leçons du curé. “Pourquoi?? — Parce que je suis musulman. — Et c’est quoi un musulman???? Je sais seulement qu’ils croient en Allah, je lui dis. » Ou lors de la circoncision : « L’infirmière l’enveloppe dans un nouveau pansement qu’elle fixe avec une agrafe élastique. Elle dit que tout va bien, c’est tout beau tout propre, et elle s’en va. Est-ce que c’était vraiment nécessaire?? » Après l’enfance, les jouets chéris et les fêtes religieuses, vient l’adolescence, la passion du sport et les virées entre amis, les difficultés scolaires et la découverte de la sexualité. Les voyages au Maroc et les contacts avec sa famille, plus conflictuels à mesure que le narrateur forge sa propre personnalité. Puis c’est la découverte de la vocation littéraire, l’université en Italie, et l’écriture, un exutoire : « Je relis ma nouvelle primée. Elle ne me plaît plus. Peut-être qu’il est temps de salir d’autres pages, semer d’autres grains noirs. » Alexandre Hmine a commencé à travailler sur Grains noirs en 2004, rédigeant des notules, transcrivant des bribes de souvenirs convoqués par des sensations et les articulant ensemble en une succession de fragments. À l’instar du statut hybride du récit, entre autobiographie et fiction, la langue de Hmine est protéiforme, tissée d’italien, de dialecte tessinois, d’arabe et de français, sans jamais tomber dans le pittoresque. Quelques extraits L’Elvezia : la figure sans âge, rugueuse et douce à la fois, son dialecte chantant: « Elle me caresse la nuque. Elle aime bien ça, sentir mes boucles sur ses paumes. Moi, j’aime glisser mes doigts sur le dos de ses mains, suivre le dessin de ses veines, et, quelquefois, presser dessus, tout doucement. […] À genoux sur le tapis du salon, j’aligne mes petites lettres colorées, celles qui ont un aimant, pour former des mots. Un cadeau, je ne me souviens pas de qui. Assise dans le fauteuil près du poêle, l’Elvezia lit la Libera Stampa. Avant de tourner les pages, elle humecte le bout de son doigt. De temps à autre, elle écarte un peu son journal et tend le cou pour regarder par-dessus ses lunettes. Les deux fenêtres filtrent la lumière de l’après-midi. Je fouille dans le tas de lettres, soulève une pièce, l’étudie pour décider si je la garde et dans quel sens la mettre. Je demande à l’Elvezia de lire ce que j’ai écrit. Elle m’a conseillé de faire des mots courts – quatre ou cinq lettres tout au plus – et d’utiliser des voyelles, mais moi, je préfère les mots très longs et pleins de consonnes. Je ne l’écoute pas. J’aime bien voir sa réaction quand le résultat est imprononçable. ASDFGHJKL Elle rit de bon cœur et secoue la tête. «?Nan’, mia inscì, pas comme ça…?» Alors, je mélange de nouveau les lettres et je recommence?: consonne, voyelle, consonne, voyelle. MAMA L’Elvezia me regarde. Elle lit, puis corrige. » La mère du narrateur : séductrice, fascinante, maladroite aussi « Le bruit du moteur. Trente minutes de retard, comme d’habitude. Elle s’arrête, klaxonne deux fois et repart. Le temps qu’elle fasse demi-tour à côté de la poste, je suis déjà au bord de la route, à l’attendre, quand elle réapparaît. Je vois la Range Rover blanche. […] Il arrive parfois que l’on croise le car postal à l’endroit où la route est étroite. Alors c’est la panique. Ma mère commence à transpirer, elle regarde tout autour de manière désordonnée, fait des mouvements brusques, baisse le volume de la musique, pousse des jurons en arabe. J’essaie de l’aider et je m’assure qu’elle ne roule pas trop près de la glissière. Le chauffeur nous remercie et nous salue. […] Je remarque que les hommes fixent ma mère. Ils essaient d’attirer son attention, ils l’étudient, ils semblent la jauger. Quand elle s’en rend compte, elle soutient leur regard quelques secondes, puis elle se détourne. Au bar, quelqu’un lui dit qu’on a l’air d’être frère et sœur, on lui fait des compliments. Elle sourit, feint d’être surprise, se dérobe, caresse mes boucles. Marocain, identité en jachère « Je répète pour lui faire plaisir?: «?Jouj, tlata?». La salle à manger éclairée par la lumière de l’après-midi. Sur la table, les mêmes tasses à café, les mêmes cigarettes, le même cendrier, le même sucrier. Ma mère pense que je devrais apprendre l’arabe. Elle commence par les chiffres. «?Reb’aa, khamsa, sitta.?» Elle propose de monter une fois par semaine pour me donner mes premières leçons. «?On dit les mercredis après-midi???» Non, je n’ai pas envie. «?Seb’aa, tmenia, ts’aoud.?» Je ne la vois pas et je ne vois pas l’Elvezia non plus. J’entends seulement nos voix, les nombres et quelques bouts de phrases, ma réticence – mia parli ur dialètt –, son insistance – mais l’arabe, c’est ta langue?! «?Vün, düu, trii… Pourquoi tu n’apprends pas toi le dialecte?? — Ashno??» Mais qu’est-ce qu’elle dit?? Elle traduit en souriant ?: «?Quoi???» Je lui explique qu’en dialecte asnón veut dire âne, et même gros âne. […] Elles sont enfin prêtes, élégantes, parfumées et couvertes de bijoux. Avant de sortir, elles viennent me dire au revoir et impriment des baisers sur mes joues. Je les suis jusqu’au salon, puis j’entends leurs talons claquer dans les escaliers et les quelques mots incompréhensibles que ma mère échange avec le gardien de l’immeuble. Je grimpe sur le divan, j’ouvre les rideaux et je regarde en bas. Une Mercedes beige est arrêtée au milieu de la rue. Les feux de détresse s’éteignent, la voiture repart. La télé n’a qu’une seule chaîne. Arabe. Après sa prière, ma grand-mère me rejoint au salon et s’assied sur un pouf. Elle met un doigt dans sa bouche pour me demander si j’ai encore faim. Je lui réponds que non, lla. Je le répète en secouant la tête, mais elle continue d’un ton vaguement plaintif?: «?Skhoun!?» Cus’è? Elle essuie la sueur sur son front. Je crois qu’elle essaie de me dire qu’au Maroc il fait très chaud. Je confirme, en tirant sur le col de mon t-shirt?: «?Oui, oui?!?» Elle rit et gesticule. Je ne comprends pas pourquoi. Né en 1976 à Lugano, en Suisse italienne, Alexandre Hmine vit au Tessin. Après avoir étudié les lettres à l’université de Pavie, il a collaboré pour différents médias et enseigne aujourd’hui l’italien au lycée de sa ville natale. Son premier roman, Grains noirs (titre original : La chiave nel latte, 2017), a remporté un Prix suisse de littérature en 2019 et le prix Studer/Ganz. Il a également été traduit en allemand.
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Éditeur : Editions Zoé
ISBN : 9782889070558
Parution : 2022