Éditeur : Editions Zoé
ISBN numérique ePub: 9782889070015
ISBN numérique PDF: 9782889070022
Parution : 2022
Catégorisation :
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"Délicatesse: ce n’est pas toujours une qualité en littérature, mais ici oui. Les questions sont hautement explosives, le texte, comme une toile tissée d’échos subtils ; la sirène est la métaphore filée qui nage avec un mouvement d’aiguille, dessus, dessous, on lie, on recoud, on répare, on avive, on suture, on plonge dans les abysses, le naufrage est toujours possible mais l’île n’est jamais loin. La cérémonie des adieux à la mère, pour reprendre la belle expression de Beauvoir, est au premier plan. La narratrice murmure, ne distribue pas des rôles de tragédiennes emphatiques aux femmes de sa famille, qui n’en auraient pas voulu. La voix est douce, apaisante. Parle tout bas, si c’est d’amour, au bord des tombes, écrivait P-J Toulet." Eric Chevillard Colombe Boncenne vit à Paris, elle a reçu le prix Fénéon et a été lauréate du Festival du premier roman à Chambéry avec Comme neige (Buchet Chastel, 2016). Pour Vue mer (Zoé 2020), je vous disais qu’avec Colombe Boncenne l'ironie féroce est en fait une mélancolie pudique. C’était aussi vrai pour son premier roman Comme neige (Buchet/Chastel). Avec Des Sirènes, le ton change. Il est plus grave. L’auteure s’engage dans un nouveau territoire, plus risqué et plus personnel, elle opte pour la sincérité. Elle n’est plus l’intelligente qui s’excuse de l’être en faisant rire la galerie (comme Alice Zeniter, Leila Slimani, toutes ces femmes belles, instruites, féministes et quadragénaires). Ici, Colombe assume qui elle est, elle assume sa mélancolie, elle assume une sorte de devoir de témoigner. Pendant deux ans, la narratrice accompagne sa mère gravement malade. Parce qu’elle apprend des choses passées sous silence dans sa famille depuis plusieurs générations, la narratrice, solide mais bien sûr vacillante, se met à enquêter. C’est une histoire familiale avec des marins, et des épouses qui attendent. Des épouses qui ne savent pas faire autrement que de se laisser faire et se taire sur les viols qu’elles subissent. Les traces des abus sont bien là, sont-elles culturelles ou quasi génétiques ? se demande la narratrice avec vertige, ayant subi elle-même des attouchements violents. Elle cherche à s’imaginer les ramifications souterraines de ces abus, leurs enlacements tortueux, cachés, secrets. Le roman raconte sur deux ans une femme en mouvement qui fait une enquête aussi bien auprès des femmes de sa famille qu’une fouille intérieure : les révélations de sa mère provoquent des questions qui la transforment. Elle est très attirée par la forme de sororité que son amie Selma lui propose, mais ne veut pas non plus se laisser enfermer dans un groupe. Elle a une forme de liberté, de quant à soi, grâce aussi à toute cette révolution intérieure. Le livre est le parcours, dans la vie de tous les jours, d’une femme normale, qui travaille, aime, sort, retrouve sa sauvage marraine. Et qui soutient sa mère d’une manière bouleversante – sans mentir, certains passages à l’hôpital sont aussi forts, voire plus, que ceux de Lançon dans Le Lambeau. Grâce à Selma et aux autres femmes qui l’entourent, la narratrice, malgré ses hésitations, est soutenue et apprend une forme de sororité, la résistance des sirènes. Discrètement magique. Scène de la vie ordinaire entre mère et fille en période de maladie : À la fin du premier mois de traitement, ma mère a quitté l’hôpital et a emménagé chez moi. Le deuxième soir, je rentrais d’un rendez-vous et je l’ai retrouvée attablée à la cuisine. Des paquets cartonnés de divers formats débordaient d’un sac en plastique blanc et vert. Certains paquets étaient éventrés et laissaient dépasser des plaquettes de médicaments en aluminium. Au milieu de la table, des pilules sorties de leurs emballages se mélangeaient les unes aux autres, blanches ou colorées. Ma mère se tenait la tête entre les mains, elle ne m’a pas entendue arriver derrière elle. Je lui ai touché l’épaule doucement, elle a relevé la tête, dévoilé un pilulier à cases et m’a regardée interdite. Ma mère n’était pas une femme précise. Toujours, elle arrangeait la réalité autour d’elle pour la faire coïncider à son étourderie légendaire. Et sortir avec deux chaussures différentes lui arrivait régulièrement. Cela ne la dérangeait pas, elle riait et nous riions de sa distraction. En l’occurrence, je n’avais pas l’esprit à rire. J’ai pris les choses en main et entrepris de déchiffrer les trois pages d’ordonnance. Les dosages journaliers n’étaient pas les mêmes à trois jours d’intervalle et certains médicaments ne se prenaient qu’un jour ou deux par semaine, c’était un véritable casse-tête. J’ai repris les indications ligne à ligne. Au bout d’une demi-heure, je pestais contre la pharmacie qui avait dû se tromper. J’ai vidé le pilulier une nouvelle fois sur la table, trié les cachets étalés sur la table, drôle de mise pour le poker. J’ai tenté de reconstituer tous les paquets. J’ai récupéré les plaquettes vides, ai rempli une à une les opercules éclatées, assemblé des bouts de pilules rompues tant bien que mal. Jusqu’à ce que je m’aperçoive que deux remèdes différents se présentaient sous la même forme, un cachet blanc oblongue fendu d’un trait en son milieu. L’humour consolateur, Farrell est l’amoureux de la narratrice, il vit sur une île comme sa mère mais de l’autre côté de l’océan: Je recevais beaucoup de messages de mes proches et de ceux de ma mère, qui s’inquiétaient. J’avais remarqué, et raconté à Farell, que la plupart de ces messages obéissaient à une même construction. On me donnait quelques nouvelles, on me demandait comment je me portais et immanquablement, comment se portait ma mère, dans une formule récurrente : Et toi, comment vas-tu, et surtout ta mère ? Farell et moi avions plaisanté et imaginé plein de dialogues dont les phrases se termineraient par Et surtout ta mère. C’était bon de rire. Farell avait écrit le scénario d’un film qui venait d’être sélectionné pour un festival de début d’été en France. C’était une excellente nouvelle. Un voyage s’organisait, il en serait certainement. Quand sa venue a été confirmée, il m’a écrit qu’il avait hâte de me voir. Un autre message a suivi presque instantanément : Et surtout ta mère. Sa mère lui apprend incidemment, furtivement qu’elle a subi des attouchements de son père. La narratrice cherche à en savoir plus. Elles sont en train de jouer au scrabble dans la chambre d’hôpital: Pourquoi tu ne m’as rien dit avant ? ai-je osé lui demander une fois en fixant les lettres posées sur mon support en bois, GTDUIBN. Ma mère a répondu sans surprise, elle savait ce à quoi je faisais référence. Elle m’a expliqué avoir entendu à la radio un documentaire sur les secrets de famille, le poids qu’ils pouvaient représenter pour les générations futures, elle avait entendu des témoignages de personnes qui, sans être les victimes, développaient des troubles spécifiques à ces…, elle aurait dû dire traumatismes, mais elle non, des troubles spécifiques à ces événements. La narratrice vient de raconter pour la première fois des abus subis à une amie de fraîche date : Ça ne te met pas en colère ? Je ne voyais pas très bien ce qu’elle voulait dire. Je me sentais essorée par ce que je venais de raconter et terrifiée par le fait que cela me terrifiait encore. J’avais peur oui, mais rien à voir avec la colère. Tu devrais être furieuse. Contre qui ? Contre eux. Tes agresseurs et les autres. Je me rendais compte que je n’avais jamais vraiment pensé en ces termes. Je me suis détestée, je m’en suis voulu et ces hommes, je les ai craints. De tout cela, j’ai eu honte. Colombe Boncenne travaille dans les métiers du livre depuis dix ans. Elle programme pour Paris en toutes lettres, la Maison de la poésie, les Correspondances de Manosque et accompagne les étudiants en création littéraire à l’Université de Lille. Par ailleurs, elle performe régulièrement avec Philippe Artières. Elle connait bien les libraires puisqu’elle a travaillé pendant cinq ans dans le bureau Virginie Migeotte.
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