Éditeur : Editions Zoé
ISBN numérique PDF: 9782889072309
ISBN numérique ePub: 9782889072293
Parution : 2023
Catégorisation :
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Comme nombre d’écrivains à son époque, Ramuz a toujours collaboré à des journaux. Travail alimentaire, la chronique est surtout un espace de réflexion et d’expérimentation littéraire : les contraintes de taille et de temps obligent l’écrivain à condenser sa pensée. Le résultat, ce sont des textes percutants, drôles ou acerbes sur la littérature, la guerre, l’argent, la science, le temps. Ce choix d’articles se concentre sur trois moments essentiels : la Première Guerre mondiale et les années qui la précèdent ; 1930-1931, une période d’intense créativité autour de la revue Aujourd’hui ; le début de la Deuxième Guerre mondiale. De sa première contribution critique en 1907 (il a 29 ans) jusqu’à peu avant sa mort, Ramuz n’aura cessé de s’intéresser à la marche du monde et à l’art d’en parler. Considéré comme l’écrivain le plus important de Suisse romande, C.F. Ramuz est un inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des ressources de la langue, un essayiste et un nouvelliste hors pair. A? travers des titres choisis par Daniel Maggetti et Ste??phane Pe??termann, préfacés et annotés par des critiques aux horizons variés, la Petite bibliothèque ramuzienne ouvre l’accès a? des textes peu connus, mais fait aussi découvrir autrement les œuvres emblématiques de l’auteur. « Le banal et le général », premier article critique, en 1907. Ramuz, qui n’est alors l’auteur que de deux romans, commence par tenter une définition du genre : « Il faut ajouter tout de suite que le terme de roman sera pris dans sa seule acception littéraire. Toute une catégorie de romans, et non la moins nombreuse, échappe en effet, volontairement du reste, à la littérature. Ils ne prétendent qu’amuser et distraire un moment. Une intrigue « bien menée », des personnages « sympathiques », l’attention tenue en éveil, un style « facile et coulant » : voilà ce qu’on attend d’eux, on ne leur demande pas autre chose. Mais ils n’ont rien qui puisse retenir. Placé devant la vie, le philosophe en dégagera une philosophie, le moraliste une morale : le romancier est un artiste, il en tirera une œuvre d’art. Son rôle, mettons, si l’on veut, son devoir, car il y a dans sa mission quelque chose d’impératif, son rôle à lui n’est nullement de redresser, ni d’enseigner, ni même de renseigner : avec les éléments qu’il a à sa disposition, il cherchera à faire de la beauté. » Ramuz pose que pour toucher le plus grand nombre, le romancier doit s’attacher à des éléments communs à l’humanité entière : « La raison tend à séparer les hommes, c’est la passion qui les rapproche. C’est à elle que le romancier devra s’adresser. L’amour, la haine, la jalousie, l’avarice, l’ambition, tous ces grands mouvements du cœur, dès qu’ils sont impétueux au point de se dégager de tout contrôle, ont des manifestations toujours pareilles dans leur essence. Je ne sais pas si on en a fait l’expérience : mais je suis pour ma part persuadé que certaines scènes de Shakespeare, ou d’Eschyle ou bien de Sophocle trouveraient chez les paysans de chez nous des auditoires passionnés. Faisons l’expérience contraire et prenons les livres d’un contemporain qui parle notre langue, M. Anatole France, si on veut, (et je ne mets ici aucune intention de blâme), il ne rencontrera d’admirateurs convaincus que dans une classe de lecteurs dont la culture sera, sinon égale, du moins analogue à la sienne. M. Anatole France, dans son domaine, fait œuvre de maître, mais son domaine est très restreint. » Les lignes qui concluent son article en disent long sur l’ambition que nourrit le jeune Ramuz pour ses propres romans : « Ce n’est que dans l’union d’un drame très humain et très général d’une part, et d’une personnalité très distincte, il faut le répéter, qu’est la grandeur d’une œuvre. Il importe qu’en le touchant, elle replie le lecteur sur lui-même et le fasse un instant vivre d’une vie plus intense, puis qu’elle le renseigne du même coup sur l’écrivain qui a regardé à sa manière vivre, aimer et souffrir. » En 1914, Ramuz a 36 ans et s’interroge sur les conditions matérielles d’une vie d’artiste : « Tentation de l’argent : quel besoin de s’estimer soi-même plus que tout, quelle confiance en soi, quel amour de la lutte, quelle énergie pour y résister ! J’écris un livre, par exemple : je sais très bien que le ton choisi, étant donné tel public, déplaira. Seulement les moyens mis en œuvre me permettraient aisément de lui plaire : il suffirait de lui donner ce qu’il réclame, et pourtant je ne le fais pas. En ne le faisant pas, je me prive non seulement d’un gain, puisque gain il y a, je me prive aussi de louanges, dont la rumeur serait agréable, je me prive d’un appui ; loin de trouver un soutien dans l’opinion, je m’en fais une ennemie. Toutes les difficultés à la fois ! Qu’y a-t-il qu’on passe outre ? La réponse, je crois, est facile : le vrai artiste ne peut pas ne pas passer outre, il ne peut pas être autrement qu’il est. » En 1917, la guerre fait rage tout autour de la Suisse. C’est l’hiver, Ramuz écrit : « Je vois tomber la neige et j’entends crier les enfants ; une toute petite fille court dans le jardin, et tombe. Elle se relève, tombe de nouveau ; elle rit. Elle s’essaie, comme les grands, à « jeter des boules ». Elle regarde construire ce bonhomme, qui a une vraie pipe à la bouche. Et puis la pluie se met à tomber, la neige s’en va, le jardin redevient noir ; mais l’affreuse boue elle-même, et l’affreuse couleur du ciel, comme envahi lui aussi par la boue, lui sont une nouvelle occasion de bonheur ; le changement seul suffit aux enfants ; ils se nourrissent du changement plus encore que des objets successifs qu’il leur présente ; quelle leçon ils nous donnent, quelle force ils sont parmi nous ! » Assourdi par le vacarme des années précédentes, Ramuz formule en 1918 son « besoin des choses », un recours au monde sensible et concret qu’il oppose aux idées destructrices : « Je sors et je m’en vais dans ce pays, sans plus rien savoir. On comprend qu’il faut recommencer à savoir par le bas, c’est-à-dire par sentir, et seules les choses familières et sûres conviennent, qui vous connaissent, et qu’on connaît. Là est la vraie humilité de ces moments où on n’est plus rien qu’on se laisse du moins aller, qu’on s’abandonne du moins un peu à ce qui peut encore vous faire accueil. Cette façade blanche de l’auberge vous sourit avec une figure où résident pour vous toute sécurité et toute certitude, et les lourdes tables de sapin peintes en brun vous offrent derrière les vitres leurs magnifiques proportions. Rien qui ne se mesure d’un coup d’œil et l’œil intérieur ne contredit pas l’autre. Je ne doute pas de moi quand je respire l’odeur des pipes ou que le vin nouveau sent le soufre dans le verre côtelé. On a méprisé les choses : est-ce qu’on ne va pas sentir qu’elles sont parfois la vraie nourriture, la seule sauvegarde aussi ? » Au début des années 1930, Ramuz se fait l’observateur acéré des changements qui affectent, en particulier, la ville de Lausanne et le canton de Vaud : « Drôle de peuple que ces Vaudois (dont je suis). Peuple d’autant plus bizarre à observer que sa bizarrerie consiste précisément à éviter tout ce qui pourrait en porter le signe, c’est-à-dire tout excès en quelque sens que ce soit, de quelque nature qu’il puisse être. Peuple géographiquement constitué, avec des frontières naturelles : en possession d’un pays riche et qui se suffit à lui-même, d’un pays qui est beau, d’un pays qui est varié ; espèce de nation, à soi tout seul, mais toute petite ; – et qui parce qu’elle est petite, et qui parce qu’elle est aux frontières, à son tour et entre des frontières de toute espèce, depuis longtemps déjà, hélas ! je pense, est devenue quand même une manière de prison pour ceux-là mêmes qui l’occupent, et l’aiment, et s’y trouvent bien, – mais avec, tout au fond d’eux-mêmes, un regret qu’ils ne sauraient pas exprimer le plus souvent, la nostalgie de quelque chose. » En 1931, il pose des questions qui n’ont pas pris une ride près d’un siècle plus tard : « Pourquoi est-ce qu’on travaille ? parce qu’on y est forcé. Pourquoi est-ce qu’on y est forcé ? Pourquoi est-ce qu’il y a des hommes qui ne travaillent pas du tout, d’autres peu, d’autres beaucoup et beaucoup trop, dans la société moderne ? Quel a été le rapport du gain au travail dans les temps anciens ? Quel est actuellement son rapport ? Travaillait-on autant (en moyenne) il y a cinq cents ans ou seulement il y a cent ans ? Travaillera-t-on autant (en moyenne) dans cent ans, dans cinq cents ans ? » C. F. Ramuz (1878-1947) est l’écrivain le plus important de Suisse romande. Né à Lausanne, il fait des études de Lettres puis passe dix années à Paris, où il fréquente Charles-Albert Cingria, André Gide ou le peintre René Auberjonois et écrit entre autres Aline (1905), Jean-Luc persécuté (1909), Vie de Samuel Belet (1913). Dès ces premiers textes, les thèmes ramuziens de la solitude face à la nature, l’amour et la mort sont déjà présents. L’écrivain rentre en Suisse peu avant la guerre.Progressivement, Ramuz abandonne la linéarité de l’intrigue et adopte un narrateur souvent collectif et anonyme. Ses romans parlent d’ordre et de transgression, de création et de destruction, toujours d’amour et de mort. Son style audacieux lui vaut des critiques : on lui reproche de faire « exprès » de mal écrire. Dès 1924, Grasset publie ses livres et lui assure un succès auprès des critiques et du public. Son œuvre est aujourd’hui publiée dans la collection de la Pléiade.
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Éditeur : Editions Zoé
ISBN : 9782889072293
Parution : 2023