Éditeur : LA BACONNIERE
ISBN numérique ePub: 9782889600892
Parution : 2023
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Avec un désenchantement chirurgical et une ironie savamment dissimulée, Alice Ceresa dresse le portrait intimiste d'une famille ordinaire et aliénée, et décrit les rapports entre chaque composant – un père, une mère et deux sœurs –, le jeu de forces et de tensions qui les agrègent, dans le quotidien partagé au fil des années, de l'enfance à l'âge adulte. Proche de l'Agota Kristof du Grand Cahier, Bambine (Einaudi, 1990) est servi par une écriture limpide et féroce. Je crois que le secret de la prose d'Alice Ceresa consistait précisément dans son équilibre réussi entre le langage de l'intelligence expérimentale et le langage de la mémoire d'enfance. – Dacia Maraini Alice Ceresa (Bâle, 1923–Rome, 2001) est une écrivaine suisse d'origine tessinoise. Après des études à Bâle et à Bellinzone, elle s'installe à Zurich et collabore à des revues littéraires. Dès 1950 elle vit à Rome où elle travaille comme journaliste, consultante éditoriale et traductrice. Elle publie en 1967 La Figlia prodiga qui remporte le prix Viareggio puis La morte del padre (1979) et Bambine (1990). Ses écrits explorent principalement «la vie au féminin» et les dynamiques familiales. Vingt-trois ans après son premier livre (La fille prodigue, 1967), Alice Ceresa publie Bambine (Einaudi, 1990, Prix Schiller), présenté rétrospectivement comme le deuxième opus de sa trilogie consacrée à «la vie féminine». Avec Bambine, Alice Ceresa continue donc son observation et sa dissection du corps familial. La veine expérimentale de ses premiers écrits est ici atténuée: l’écriture est désormais plus limpide, mais non moins féroce. Avec un regard désenchanté mais d’une précision chirurgicale implacable, et maniant une ironie savamment dissimulée, Alice Ceresa dresse le portrait intimiste d’une famille ordinaire, pour mettre au jour la structure profonde de la famille patriarcale et l’aliénation qui inexorablement en découle. Le livre nous offre la description analytique des rapports entre chaque composant de ce corps domestique – un père, une mère et deux sœurs –, du jeu des forces, des tensions et des résistances qui les agrègent, dans le quotidien partagé au fil du passage des années, de l’enfance à l’âge adulte. L’écrivain Manganelli dira très justement que, dans Bambine, « il n’y a pas de dialogue ni de monologue, mais plutôt un chuchotement hypnagogique, un murmure un peu malicieux, un peu malfaisant – oh, légèrement malfaisant – comme font les enfants ». C’est avec la traduction de ce deuxième livre en français et en allemand, que l’auteure se fait enfin connaître dans son pays natal et, plus largement, dans l’espace francophone et germanophone. Je crois que le secret de la prose d'Alice Ceresa consistait précisément dans son équilibre réussi entre le langage de l'intelligence expérimentale et le langage de la mémoire d'enfance. – Dacia Maraini «Je n’écris pas pour écrire, mais parce que je dois. C’est pourquoi je procède très lentement, parce que je ressens l’exigence d’un langage précis, presque mortel. Je suis très sévère avec mon écriture, j’exagère peut-être, mais pour moi raconter est un acte, ou plutôt un rite sacré.» Alice Ceresa naît à Bâle en 1923 – ou plutôt, comme elle le dira elle-même, «la manie suisse italienne de la migration familiale l’a fait naître à Bâle», «déjà émigrée» donc. Elle grandit et fait ses premières années d’école primaire dans un environnement bilingue, germano-italophone. Lorsqu’elle a cinq ans, la famille s’installe à Bellinzone (Tessin). De cette expérience, qui fut, selon ses termes, presque aliénante, émergera une conscience du lien profond reliant identité et langue, qui façonnera sa réflexion et son travail d’écrivain. Après sa scolarité obligatoire, Alice Ceresa fait une école de commerce mais, une fois obtenu son diplôme, elle se détourne de cette voie qui lui a été imposée par son père, mue par un désir inébranlable d’étudier la littérature. Elle quitte alors le foyer familial en 1940 et se rend à Lausanne, où elle décide d’entamer des études de lettres. Essayant tant bien que mal de concilier études, écriture et petits boulots pour survivre. Ses pérégrinations à la recherche d’un gagne-pain l’amènent d’abord à Berne puis à Zurich, où elle s’installe en 1943 pour travailler comme journaliste culturelle (notamment pour Die Weltwoche et Svizzera italiana), et où elle fréquente des cercles de « fuoriusciti », des écrivains italiens fuyant le fascisme et exilés en Suisse, parmi lesquels Luigi Comencini, Franco Fortini et surtout Ignazio Silone, qui l’accompagnera dans ses premières activités littéraires. L’année 1943 est aussi celle de sa première publication: le récit Gli altri (paru dans la revue Svizzera italiana et primé par la Fondation Schiller). Dans l’immédiat après-guerre, Ceresa est envoyée comme correspondante culturelle en France et en Italie, notamment à Milan puis à Rome. Quittant définitivement la Suisse, elle s’installe dans la capitale italienne en 1950 et y vivra jusqu’à la fin de sa vie. Elle y noue des contacts avec des personnalités du monde littéraire (Vittorini, Giorgio Manganelli), dont certaines proches du «Gruppo 63», un réseau avant-gardiste d’écrivains et d’intellectuels. Alice Ceresa est une écrivaine paradoxale: elle a beaucoup écrit mais n’a que très peu publié. Au fil de sa vie, elle a donc égrené de rares publications: trois livres (auxquels l’étiquette de roman ne conviendrait guère, tellement ils brouillent les catégorisations de genre) et deux récits, qui ont tous retenu l’attention de la critique par leur style si singulier. Le travail littéraire de Ceresa est en effet marqué par la recherche intransigeante d’une langue à même de dire les «aventures individuelles importantes» de son époque – qui sont, comme toute aventure réellement importante, «dissimulées et profondes», encore «en attente d’une identification et d’une systématisation cognitive». L’écrivaine fait véritablement ses débuts littéraires en 1967 avec La figlia prodiga (Prix Viareggio Opera Prima; paru en français en 1975 aux Éditions des femmes). Dans ce livre, conçu comme le premier opus d’une trilogie tout entière consacrée à dire «la vie au féminin», Ceresa tente de cerner et de définir une figure insaisissable, celle de la «fille prodigue», pendant féminin et inverse du fils prodigue de la parabole biblique. Frustrant l’attente des lecteurs admiratifs de ce premier ouvrage, Ceresa ne publie son prochain écrit qu’en 1979: le récit La morte del padre, publié dans la revue Nuovi Argomenti. Dans ce récit, Ceresa s’attache à scruter, avec la même langue incisive qui la caractérise, les retrouvailles des membres dispersés d’une famille après la mort du père. Enfin, paraît en 1990, vingt-trois ans après La fille prodigue, le deuxième livre de Ceresa: Bambine (à nouveau publié chez Einaudi, Prix Schiller), présenté rétrospectivement comme le deuxième opus de la trilogie. Avec Bambine, Ceresa continue son observation et sa dissection du corps familial. Ceresa travaille également, durant une grande partie de sa vie, à un Petit dictionnaire sur l’inégalité féminine: ce dictionnaire, qui comporte des entrées très variées (de l’Âme à la Vie, en passant par la Beauté, l’Éthologie, la Mode féminine ou la Norme), est resté inachevé et a été publié de façon posthume en 2007 aux Éditions Nottetempo. En parallèle de ses projets d’écriture, Alice Ceresa mène en outre une activité de traductrice (de l’allemand, de l’anglais et du français vers l’italien). Elle traduit, entre autres, Gerold Späth, Helmut Heissenbüttel et Elias Canetti. À la fin de sa vie, Alice Ceresa continue de travailler au troisième et dernier opus de sa trilogie, mais ne parvient malheureusement pas à l’achever. Elle décède à Rome en 2001. Son fonds, riche d’œuvres inédites et de projets inachevés, contenant également sa bibliothèque personnelle, est conservé depuis 2003 aux Archives littéraires suisses (Berne).