Éditeur : Editions Zoé
ISBN numérique PDF: 9782889071265
ISBN numérique ePub: 9782889071258
Parution : 2022
Catégorisation :
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Une ville de quatre ou cinq mille habitants, un petit monde où les gens se contentent d’un beau soleil et d’une belle eau, parmi les vignes. Mais lorsque Louis Noël, grand voyageur, se met à raconter la vie sous d’autres cieux ; qu’un illuminé se prenant pour le Christ se promène sur la plage ; qu’un cinéma s’installe et fait office d’usine à rêves, l’imaginaire fait irruption dans le quotidien réglé, « une fenêtre a été ouverte sur le monde ». Au début des années 1920, Ramuz (1878-1947) est à son apogée : à Paris, ses textes sont défendus par Aragon, Breton ou Claudel ; les journaux lui consacrent leurs pages littéraires, tandis que sa situation matérielle s’améliore. Parallèlement, l’écrivain publie plusieurs de ses textes majeurs : L’Amour du monde (1924), La Grande Peur dans la montagne (1926) et La Beauté sur la terre (1928). La collection « C. F. Ramuz » Voici une série de volumes afin de rendre hommage à l’écrivain le plus important de Suisse romande. Parfois considéré à tort comme un glorificateur du terroir, C. F. Ramuz est avant tout un inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des ressources de la langue, un essayiste en décalage, un nouvelliste hors pair, comparable à un Picasso. À travers des titres choisis par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, préfacés et annotés par des critiques aux horizons variés, cette collection ouvre l’accès à des textes peu connus, mais fait aussi découvrir autrement les œuvres emblématiques de l’auteur. Préface Roland Cosandey est historien du cinéma. Il enseigne à Lausanne et à Lucerne. ========= Une ville frileuse au bord du lac, calme et fermée sur elle-même, malgré le train qui la traverse, signe du monde moderne, et le lac qui lui donne l’étendue et la beauté, permanence des choses. Petite bourgade passive, satisfaite dans sa petitesse donc. Mais trois événements simultanés viennent perturber le cours des choses et ouvrir une brèche. - Un cinéma s’installe dans la salle communale. Il offre chaque semaine des films en tout genre, des documentaires sur les plantes, les animaux, les pays lointains, la vie de Jésus, des fictions hollywoodiennes, des reconstitutions historiques. Il est le lieu de la rencontre, qui va s’avérer explosive, entre l’ici et l’ailleurs. Certains habitants prennent conscience d’eux-mêmes et du monde, s’ouvrent à l’inconnu grâce au cinéma. - Un illuminé se prend pour Jésus et se promène en ville, une branche d’aubépine à la main, habillé de blanc, beau et barbu « comme sur les images ». Sa présence émeut certains habitants. Il est sans rapport avec le cinéma. - Louis Joël rentre, après cinq ans d’absence, d’un long voyage en mer. Il a fait plusieurs fois le tour du globe. Il incarne les pays lointains et raconte le monde, les mondes qu’il a vus. Il fait concurrence au cinéma, qui contrairement à lui, dit le faux. Ses auditeurs sont fascinés.Les habitants se mettent à mélanger l’ici et l’ailleurs, la réalité et la fiction du cinéma, les visions bibliques et le concret. Ils sortent de leur petitesse, vrai et faux s’entremêlent. Des événements tragiques en seront la conséquence. De l’entrecroisement de tous ces imaginaires naitront désordre et confusion, dont l’orage qui se prépare à la fin du livre est l’expression : « L’orage ne voulait toujours pas éclater, bien que chaque jour, vers midi, le ciel se couvrît entièrement ; alors on vivait la seconde moitié de la journée sous un couvercle gris qui empêchait tout mouvement de l’air. Ce n’est pas par le vent que ces bruits ont été apportés, traversant le ciel au-dessus de nous. Ils sont venus de bien plus loin qu’on ne peut croire, ayant été d’abord dans les têtes, puis dans les cœurs, puis s’étant échappés. Il y a eu le monde qui venait ; et ces morceaux de monde continuellement venaient, comme des migrations d’oiseaux, bougeant un instant au-dessus des toits, et ils passent, mais déjà d’autres les avaient remplacés. Et, en même temps, il y avait les bruits réels ; il y avait les deux espèces de bruit, l’inventée et la pas inventée, mais elles se mélangent. Les téléphones sont avec leurs notes qui chantent dans les fils et la télégraphie sans fils vient avec ses messages chantant autrement et sans fils. L’inventé est entendu, le pas inventé grossi beaucoup de fois. Les trains, encore un express, les petits trains de banlieue, un rapide, tous les trains ; et une cloche sonne et de nouveau une cloche sonne. Les bateaux à vapeur sifflaient rauque dans le même temps qu’ils ébranlaient l’eau jusqu’à la rive avec leurs roues, et l’ébranlement de l’eau communiquait son mouvement à la terre sous vos pieds. L’horloge. Une voix. Une toux. Des cris d’enfants. Puis, de nouveau, des choses qu’on ne savait pas, et c’est de la vie seulement, c’est la grande vie où on est entré, qui vient à vous, circule, vous tourne autour, s’en va plus loin, recommence à venir. Et on entend vivre à l’autre bout de la terre et vivre l’autre bout de la terre, tous ses bouts ; tandis que les paroles qu’elle vous envoie font de l’ombre au-dessus de vous, font ces formes au-dessus de vous, ces apparences, ces corps de brume et de nuages qui se déplacent ; – et on ne sait plus si on voit ou si on entend ; on entend et on voit tout à la fois. Des odeurs aussi qui passent. Encore un enfant qui crie, l’enfant se tait.? L’horloge. Il y a la grande odeur chaude du poisson. Ça sent la cannelle et les épices ; il y a une odeur de fumée comme quand les savanes sont en feu. Ça sent les épices et la vanille ; en même temps que c’est comme tout un continent qui vient dans le ciel, c’est toute l’Asie, toute l’Afrique, ce nuage noir ; alors on a commencé à avoir peur. On commence à avoir peur, parce que ça a grandi encore : on est assourdi, on est aveuglé, – et c’est beau, mais c’est trop grand... (…) Est-ce que l’orage éclatera avant midi ?... C’est ce que dans la ville, on se demandait aussi. On voyait les gens sur le pas des portes sortir seulement la tête, tournant la figure vers en haut, où le ciel était entre les toits comme de la terre mouillée, comme de la terre après qu’il a plu. (…) La nuit était si noire qu’elle était comme un tampon de chiffons devant le regard. Par moment, à travers le vitrage, on voyait toute la nuit se soulever, juste le temps de dire : oh ! et le port se montrait avec ses deux jetées et les deux phares qui étaient brusquement éteints, – qui se rallumaient. Un morceau du monde était porté à votre rencontre ; il était retiré avant qu’on pût le saisir. Un morceau de monde inconnu, avant qu’on ait eu le temps de le connaître ; un morceau de monde qu’on aurait voulu aimer et on n’avait pas eu le temps de l’aimer. » Quand les spectateurs sortent du cinéma, deux mondes s’affrontent très concrètement, le fictif et le réel : « Ils sortaient de la salle ; ils continuaient à voir, ils continuaient à voir là derrière. Ils secouaient la tête inutilement ; ils voyaient toujours les trois croix, celle du milieu, une de chaque côté. Quelque chose de froid leur tombait alors sur la peau, ils ont compris qu’il neigeait. » Il y a aussi Thérèse, nouvelle Emma Bovary, qui se projette en l’ « autre », Pearl White, connue pour ses serials, films à épisode, dont elle va imiter les scènes de séduction. Ramuz reprendra avec audace le processus de montage et de caméra pour en faire la description. Le personnage du pseudo-prophète arpentant la ville représente le surgissement d’un rêve dans la réalité. Ramuz donne à voir le monde dans sa complexité, sa singularité, sa mobilité, sa plasticité, sa beauté aussi. Les images sont chargées de toute l’intensité des paysages intérieurs : « Des hommes étaient assis sur le mur de l’autre côté duquel était le petit port carré, avec son eau tellement lisse que c’était comme si on avait découpé un morceau de ciel avec des ciseaux et qu’on l’avait collé dessus. Il y avait, en arrière des jetées et en avant du lac bleu sombre, légèrement agité cette fois-là, ce carré rose, où étaient des nuages blancs, les coques noires de deux ou trois bateaux à rames. Les hommes, assis sur le mur, fumaient la pipe, les mains entre leurs genoux, sans faire attention à Louis ni à Suzanne ; il est vrai que les hommes leur tournaient le dos, et eux ne faisaient aucun bruit. Suzanne n’avait pas parlé d’abord, lui non plus. Tout à coup, ils ont vu à côté d’eux que le lac avait changé de couleur, et en même temps ils avaient atteint le bout du quai, de sorte qu’ils se sont trouvés marcher dans le sable. C’était la bise qui soufflait, alors il y a eu un lac noir sur lequel on voyait fuir vers le large les mille petites rides des coups d’air, comme si on y avait laissé traîner le bas d’un châle à longues franges. Quand la bise souffle, les vagues sont pour l’autre rive ; ici, c’est seulement le tout premier commencement des vagues ; c’est seulement comme si une main passait sur les cordes d’un instrument. Et, à cette place, tout à coup, n’ayant pas parlé jusqu’alors, à cette place : « Écoutez, monsieur Louis... » Puis : « Je voulais vous dire, peut-être que ça vous ennuie... Je ne sais pas, peut-être que ces promenades... » Il ne la laissa pas achever : « Pourquoi ?... » Il n’avait rien dit de plus ; il n’y avait eu que ce mot, mais ce mot avait suffi. Et heureuse ! Tellement heureuse ! » Lettre de Claudel à Ramuz à la sortie de L’Amour du monde chez Plon: « L’Amour du monde est un récit vraiment tragique et impressionnant. On voit des scènes entrecoupées comme dans un éclair ou sur l’écran. Une création qui a perdu son attache avec la réalité et qui semble danser et sauter dans une alternative d’apparitions et de disparitions comme les montagnes ou les collines dans le psaume que vous connaissez. C’est un livre que l’on pourra mettre dans la salle d’attente pour le Jugement dernier. » Tandis qu’il fait naître chez Auguste Bailly la célèbre polémique : « Mais qu’il soit un écrivain français, non, jamais je ne me résoudrais à une hypothèse aussi dénuée de vraisemblance ! … Ecrivain français ! … S’il veut l’être, qu’il apprenne notre langue !... Et s’il ne veut pas l’apprendre, qu’il en emploie une autre ! » Charles-Ferdinand Ramuz est l’écrivain le plus important de Suisse romande. Né en 1878 à Lausanne, il fait des études de Lettres puis s’installe pour dix ans (1904-1914) à Paris où il étudie à la Sorbonne, fréquente Charles-Albert Cingria, André Gide ou le peintre René Auberjonois, écrit entre autres Aline (1905), Jean-Luc persécuté (1909), Vie de Samuel Belet (1913). Dans ces premiers romans, les thèmes ramuziens tels que la solitude de l’homme face à la nature ou la poésie des terres, des vignes et du lac, sont déjà présents. En 1914, Ramuz, toujours considéré comme un écrivain du terroir à Paris, revient en Suisse et s'établit parmi les vignes du Lavaux, d’où il ne bougera plus. Là, il rédige le manifeste des Cahiers vaudois. Cette revue, autant que maison d’édition, réunit les créateurs majeurs de Suisse romande (Cingria, Ernest Ansermet, René Auberjonois, Gustave Roud), mais aussi Romain Rolland ou Paul Claudel. La production de Ramuz occupe le quart de la quarantaine de Cahiers qui paraîtront jusqu’en 1919. L’écriture de Ramuz devient dès lors plus révolutionnaire, il abandonne la narration linéaire et la multiplication des points de vue et adopte souvent un narrateur collectif et anonyme, « on ». Ses romans parlent d’ordre et de transgression, de création et de destruction, d’ouverture et de fermeture. Son écriture audacieuse lui valent des critiques de ceux qui lui reprochent d’écrire mal « exprès ». Pendant cette période il rédige entre autres L’Amour du monde (1925) et La Grande peur dans la montagne (1926), qui marquent l’apogée de sa carrière littéraire. Dès 1924, Grasset publie les livres de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public. Entre 1929 à 1931, il dirige la revue Aujourd’hui. Dans les dernières années de sa vie, il s’essaie également à des textes politiques et autobiographiques, avant de s’éteindre à Pully en 1947. Son œuvre est aujourd’hui publiée dans la collection de la Pléiade.
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Éditeur : Editions Zoé
ISBN : 9782889071258
Parution : 2022