Éditeur : Editions Zoé
ISBN numérique ePub: 9782889071210
ISBN numérique PDF: 9782889071227
Parution : 2022
Catégorisation :
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Toute vie, à l’instar de toute œuvre, est faite de chutes et de rebonds, comme le montre Une main. Dans ce texte autobiographique, Ramuz se dévoile, laissant le lecteur pénétrer dans son intimité, dans sa maison, son bureau, se mettant en scène torse nu et soumis à ses médecins autant qu’aux impératifs du corps. Car un jour d’hiver de 1931, à la mi-janvier, Ramuz glisse sur du verglas et se brise l’humérus gauche. Impossible d’écrire désormais. L’auteur réfléchit dès lors à sa relation à la création : sa vie, semble-t-il conclure, n’a de sens que par la place qu’elle occupera dans son œuvre. Un jour de janvier 1931, Ramuz glisse sur du verglas et se brise l’humérus gauche. Impossible d’écrire désormais. L’auteur réfléchit dès lors à sa relation à la création, revient sur soi. Un objet d’étude qui devient bientôt Une main, publié en 1933. Dans ce court et très beau texte, Ramuz, qui passe pour un écrivain peu enclin à la confidence, se livre avec une douce mélancolie teintée d'humour. La collection « C. F. Ramuz » Voici une série de volumes afin de rendre hommage à l’écrivain le plus important de Suisse romande. Parfois considéré à tort comme un glorificateur du terroir, C. F. Ramuz est avant tout un inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des ressources de la langue, un essayiste en décalage, un nouvelliste hors pair, comparable à un Picasso. À travers des titres choisis par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, préfacés et annotés par des critiques aux horizons variés, cette collection ouvre l’accès à des textes peu connus, mais fait aussi découvrir autrement les œuvres emblématiques de l’auteur. Introduction Guy Poitry est né en 1956 à Genève. Il enseigne la littérature française à l’Université de Genève depuis 1981, et à l’Université de Berne depuis 1998. Il est l’auteur d’un ouvrage consacré à Michel Leiris, avec également un grand nombre d’articles critiques sur ce même auteur, ainsi que sur Sade, Diderot, Voltaire, Vinet, Remy de Gourmont. Il est auteur de romans et de récits. ========================= « Il vient de m’arriver une aventure sans doute très banale, mais qui pour moi est au contraire toute imprévue, toute fraîche, toute pleine de nouveauté ; toute pleine, il me semble aussi, d’enseignements que je tâche de m’énumérer un à un : qui sont d’abord une terrible humiliation, ensuite une non moins redoutable obligation à la patience (car on n’est pas patient, et on ne veut pas l’être, pourtant on est forcé de l’être) ; enfin un retour non moins forcé sur soi-même, la nécessaire épreuve d’une étroite confrontation. » Une main est un des rares textes sur soi de Ramuz, écrit après une fracture de l’humérus qui l’a empêché de travailler quelque temps. Le lecteur entre dans l’intimité de la dépendance, de l’appréhension d’un corps différent, de la rééducation et d’une pensée sur l’être humain, surtout sur lui en particulier et le rapport si intime qu’il établit entre l’écriture et la vie, du moins la sienne : « De même qu’on n’écrit pas un texte sans y introduire des alinéas, de même la vie est faite de fins et de commencements ou de recommencements […]. La continuité fait place à la discontinuité, qui n’est que l’occasion d’une nouvelle continuité. Une phrase, repos. Puis une phrase, et puis repos. Des points avant le point final […]. » « Qu’est-ce qu’écrire, sinon faire vivre ? Et si, soi-même, on ne vit plus ? Si les mots eux aussi sont morts, parce que les mots c’est vous ? Ils sont votre plus intime chair : ils sont blessés là où elle est blessée. » Il lui suffit de cet accident banal – survenu après avoir glissé sur du verglas – pour faire retour sur soi. Il devient alors « apprenti-philosophe et à vrai dire apprenti-tout ». Embarrassé par un barbare appareillage, le romancier voit son quotidien rétrécir, se ralentir, se condenser. La maison, l’espace (« Il y a un verre sur le monde. Je ne le vois plus que de derrière des croisées qui n’empêchent pas de "distinguer" encore, mais empêchent de participer. On voit l’air, on ne sent plus l’air ; on voit le mouvement du vent se faire, on n’est plus mû par lui, on ne se meut plus contre lui. Il y a arrêt (avant la reprise). »), le temps, l'écriture, l'autonomie (« C’est le retour sans gloire à la première enfance, les mois de nourrice revenus. »), le corps, la relation à l'autre, le sens d'une vie d'écrivain : tout est revu depuis une perspective bouleversée. Ramuz passe pour un écrivain peu enclin à la confidence mais, dans ce court et très beau texte, il se livre avec une douce mélancolie teintée d'humour. Et puis, il peaufine son regard de peintre : « Tous les matins, le jour qui se lève assez tard encore (vers les huit heures, guère avant) vient suspendre le même tableau à ma droite dans le mur. Rectangulaire, plus haut que large. Le même tableau, et pas le même. On veut dire que la composition reste pareille et les objets dont elle est faite, on veut dire leur contour ; mais les couleurs et les valeurs y varient continuellement. C’est comme la Mare aux nymphéas (en mieux) et sans nymphéas. Le jour est le peintre. Il change sans cesse lui-même, ce qui fait que les objets qu’il vous présente changent sans cesse eux aussi. On les reconnaît, car ils sont simples et peu nombreux, mais leur contenu n’est jamais le même. Dans le bas, à gauche, il y a quelques branches nues, qui sont le haut d’un vieux cognassier, toutes noires sur le fond clair, toutes hérissées et rouillées, et qui font penser dans leur enchevêtrement à du fil de fer barbelé. Derrière, et prolongé vers la droite jusqu’au cadre, il y a le lac. Il fait une bande. Au-dessus, et faisant une seconde bande qui est à peu près de la même largeur, il y a les montagnes de Savoie. Au-dessus enfin, et plus large, presque carré, c’est le ciel. Et c’est tout. Pas une maison, rien d’humain, on veut dire pas la moindre présence d’homme, sauf quand un bateau à vapeur, ce qui est très rare, ou un chaland, ou une barque, passe : un vide universel, comme au commencement du monde, fait d’air, de pierre, d’eau, de terre, et c’est tout. Et tout est indistinct d’abord, mais déjà le jour vient avec son pinceau. Je regarde, je n’ai qu’à tourner légèrement la tête ; laisser faire et regarder faire. Et je vois le pinceau chargé de couleur se promener, c’est l’eau. Je le vois chargé de noir et de blanc et il met un peu de noir à côté du blanc, un peu de blanc à côté du noir, c’est la montagne. Je le vois enfin, chargé de deux ou trois tons gris, aller plus haut par larges touches, et c’est le ciel. Même pas un oiseau, ils savent bien que dans le haut de l’arbre ils ne trouveraient rien à manger ; ils sont plus bas, parmi les buis, ou bien ils grimpent le long du tronc où ils trouvent des insectes sous l’écorce ; ils sont où je ne peux pas voir. Et, là où mon regard atteint, il flotte partout dans l’élémentaire, où il y a seulement les jeux de la lumière qui vient, qui se retire, qui grandit, qui diminue, qui est claire, qui est sombre, qui s’éteint presque, puis se rallume tout à coup, avec tous les bleus, avec tous les blancs, avec de l’or, de l’argent, du rose ; de sorte que sans cesse des mêmes formes naît un coloriage nouveau, qui est comme leur négation. Les branches sont bleu de Prusse : le lac, qui était dans le paysage ce qu’il y avait de plus sombre, est à présent ce qu’il y a de plus clair. Il est comme une robe de petite fille qu’on aurait souvent lavée, et on viendrait de la passer au bleu, mais on n’aurait pas su s’y prendre, et il y a des places où ce bleu fait tache : des places carrées, des places rondes où il apparaît plus foncé. Il arrive parfois que l’eau à elle seule soit tout un paysage : c’est une plaine vue de très haut, une plaine vue d’un avion à quatre ou cinq mille mètres. On voit des ruisseaux, des fleuves. Un dégradé dans la nuance indique plus loin la place d’une colline. C’est lisse, c’est craquelé, c’est ondulé, comme sur une carte de géographie en relief. Pourtant il n’y a pas de vagues. Mais il y a aussi les jours où il y a les vagues. Il y a les jours où sous le soleil tout le tableau est en proie au mouvement (figuré). Il y a les jours du miracle : que je vois venir, que j’attends : alors le peuple des choses est tout à coup en proie à un grand bouleversement ; partout le brouillard monte, partout les nuées se déchirent ; et, dans leurs trous, leurs entre-deux, des anges se balancent, de grands anges en bleu et blanc, en robes bleues, avec des ailes blanches. Le rideau du brouillard continue à s’ouvrir rapidement dans son milieu, et on les voit tous qui se posent. On les voit assis ensemble, bien sagement, les uns à côté des autres et les uns au-dessus des autres, faisant une belle assemblée, leurs ailes repliées, leurs robes ramenées sous eux ; et, sous le grand ciel pur qui règne maintenant partout, on distingue qu’ils ont sur la tête une petite couronne rose, comme celles que les enfants font avec les pâquerettes, au printemps. » Charles-Ferdinand Ramuz est l’écrivain le plus important de Suisse romande. Né en 1878 à Lausanne, il fait des études de Lettres puis s’installe pour dix ans (1904-1914) à Paris où il fréquente Charles-Albert Cingria, André Gide ou le peintre René Auberjonois, écrit entre autres Aline (1905), Jean-Luc persécuté (1909), Vie de Samuel Belet (1913). Dans ces premiers romans, les thèmes ramuziens tels que la solitude de l’homme face à la nature ou la poésie des terres, des vignes et du lac, sont déjà présents. En 1914, Ramuz, toujours considéré comme un écrivain du terroir à Paris, revient en Suisse et s'établit parmi les vignes du Lavaux, d’où il ne bougera plus. Là, il rédige le manifeste des Cahiers vaudois. Cette revue, autant que maison d’édition, réunit les créateurs majeurs de Suisse romande (Cingria, Ernest Ansermet, René Auberjonois, Gustave Roud), mais aussi Romain Rolland ou Paul Claudel. La production de Ramuz occupe le quart de la quarantaine de Cahiers qui paraîtront jusqu’en 1919. L’écriture de Ramuz devient dès lors plus révolutionnaire, il abandonne la narration linéaire et la multiplication des points de vue et adopte souvent un narrateur collectif et anonyme, « on ». Ses romans parlent d’ordre et de transgression, de création et de destruction, d’ouverture et de fermeture. Son écriture audacieuse lui vaut des critiques de ceux qui lui reprochent d’écrire mal « exprès ». Pendant cette période, il rédige entre autres L’Amour du monde (1925) et La Grande peur dans la montagne (1926), qui marquent l’apogée de sa carrière littéraire. Dès 1924, Grasset publie les livres de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public. Entre 1929 à 1931, il dirige la revue Aujourd’hui. Dans les dernières années de sa vie, il s’essaie également à des textes politiques et autobiographiques, avant de s’éteindre à Pully en 1947. Son œuvre est aujourd’hui publiée dans la collection de la Pléiade.
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Éditeur : Editions Zoé
ISBN : 9782889071227
Parution : 2022