Éditeur : Editions Zoé
ISBN numérique ePub: 9782889072149
ISBN numérique PDF: 9782889072156
Parution : 2022
Catégorisation :
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Potache, complice, philosophe, introspectif, ironique : le lecteur est ébloui par la vitalité et la variété de tons qu’adopte Ramuz dans ces cinquante lettres. Il traverse à grands pas la vie foisonnante d’un C.F. Ramuz qui s’avère fin épistolier. Il y est question d’écriture comme de problèmes d’eau chaude ou d’argent, de jardinage, de projet de revue ou de Paris. C’est aussi parfois simplement l’occasion d’une franche rigolade (cf la lettre à Ansermet). A la fin de sa vie, malade, le contraste est d’autant plus émouvant. Voici un Ramuz dans son quotidien, qui s’amuse, s’inquiète, et s’interroge sur l’écriture et sur la mort. C’est passionnant. C.F. Ramuz est avant tout un inventeur de formes romanesques, un explorateur des registres et des ressources de la langue,un Picasso de l'écriture, un essayiste, un nouvelliste hors pair. À travers des titres choisis par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, préfacés et annotés par des critiques aux horizons variés, la Petite bibliothèque ramuzienne ouvre l’accès à des textes peu connus, mais fait aussi découvrir autrement les œuvres emblématiques de l’auteur. Ramuz s’adresse au chef d’orchestre Ansermet, qui vit temporairement en Allemagne, Il fait l’idiot en allemand de cuisine depuis Paris : À Ernest Ansermet [Paris, 24 rue Boissonade, 17 novembre 1912] Wie gehen Sie, lieber Freund und Madame Ansermet ? Ich schicke noch Ihnen Beiden meinen besten Danke für ihre so gute und verdoppelte Hospitalität, und hoffe dass alles bei Ihnen gut geht, und umher Ihnen in der Pervenche, im Kursaal und so weiter. Immer Musik ? Immer Harmonie ? Harmonie von aller Sorte ? Es macht ein wenig grau diese Zeiten hier, aber ich denke dass Sie, am See, noch Sonne haben, etwas wie ein kleiner Sanckt-Martin Sommer … vielleicht. Ich … mais peut-être vous serez à même de mieux comprendre moi si j’entreprenais vous parler en langue française dans laquelle je fais exercice aussi souventement que possible est ; donc, je disais que moi j’avais eu à l’arrivée ici un terrible dépaysement et grande difficulté à reprendre l’habitude, mais présentement est la difficulté considérablement surmontée, et recommencé ai-je à travailler… C’est bien plus sérieusement qu’il se confie à Igor Strawinski : C’est vrai. J’aimerais toujours écrire le même livre et reprendre le même thème… Comme ce n’est pas possible, à cause des circonstances, j’essaie d’aller « en spirale » repassant par intervalle au-dessus du point précédemment atteint. Je sais bien que tout ça n’aura de sens que s’il y a un sommet et y en aura-t-il jamais un ?… Mais auparavant, il lui fait des comptes d’épicier : Quant à la publication des parties du texte qui peuvent vous être utiles, disposez-en tout à fait comme vous l’entendez et en toute liberté ; vous n’avez qu’à les prélever dans l’exemplaire « ordinaire » que je vous envoie par le même courrier, et à en prévenir M. Kling qui me bombarde de lettres pour me demander quelles seraient mes conditions, le prix de location des décors, etc. etc. Je l’ai prié de s’adresser à vous ; il me répond que vous l’avez prié de s’adresser à moi : finalement nous sommes convenus d’un minimum de 250 fr. chacun, pour droits d’auteur (montant fixé par vous) et d’une même somme 250/2 pour la location (des décors) soit 125 fr. chacun. A Edmond Jaloux il parle de sa manière à lui d’écrire le français : Le « français » est-il définitivement « constitué » ou peut-il devenir encore ? Et comme je suis dans l’impossibilité moi-même de répondre à la question, vous devinez mes inquiétudes. Il faudrait donc que vous me permettiez de préciser qu’il ne s’agit pas dans mon cas d’une simple fantaisie personnelle. Je cherche à exprimer à travers moi quelque chose. Je ne suis qu’un outil (médiocre). Tout un petit peuple me sollicite. Ceux qui ont été jusqu’ici sans expression, ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. Et alors j’irais jusqu’à dire que ma faute serait de ne pas avoir été encore jusqu’au bout de mes défauts, parce que c’est alors seulement qu’ils deviendraient des qualités. En tout cas, c’est dans ce sens que je me sens impérieusement poussé, quoi qu’il puisse en advenir, mais que faire ? Il faut tout jouer sur une carte. Il insiste auprès de Henri Poulaille : Je suis licencié-ès-lettres classiques, ne le dites pas. Dites que je me suis appliqué à ne pas être licencié-ès-lettres classiques, ce que je ne suis pas an fond, mais bien un petit-fils de vignerons et de paysans que j’aurais voulu exprimer. Un très bel extrait d’une lettre à Paul Claudel, la langue du peuple « est la seule qui compte parce que tout en sort et que tout y rentre et qu’elle ne peut pas se tromper» : La « parlure », comme vous dites, c’est bien vers elle que d’instinct, et exclusivement, je me suis tourné dès mes débuts. Vous nous avez donné dans votre œuvre par ci par là (et entre autres choses) les premiers modèles d’un grand style paysan, et j’insiste sur « style » plus encore que sur « paysan ». Vous avez tiré la littérature de l’ornière où on voit même Balzac se traîner parfois et qui est celle de toutes ces « enquêtes sociologiques », et autres « études de mœurs » où sous prétexte de roman d’innombrables auteurs méprisent et flattent à la fois le peuple (ce qu’il en reste) et la langue de ce peuple qui est la seule qui compte, parce que tout en sort que tout y rentre et qu’elle ne peut pas se tromper, mais que ces échappés de Sorbonne n’utilisent qu’entre guillemets, c’est-à-dire ne touchent qu’avec des pincettes. Pour finir, deux lettres très émouvantes de Ramuz malade, quelque mois avant sa mort, l’une à Paulhan, l’autre à son petit-fils adoré : À Jean Paulhan [La Muette, Pully, Vaud (Suisse), 5 novembre 1946] Cher ami, Quelle bonne idée vous avez eue de m’écrire. Je ne savais plus rien de vous. J’espère seulement que les nouvelles sont bonnes et que les crachins, les pluies, les tempêtes de la Bretagne n’auront pas été trop défavorables à votre santé. C’est une bien bonne idée encore que de reprendre la N.R.F. (même si vous ne la reprenez pas, mais elle manque terriblement.) Merci d’avoir pensé à moi. Mais hélas ! cher ami, je ne fais plus rien. Je prends pour la première fois de ma vie des vacances, et involontaires. Ça ne va pas bien fort et j’aime mieux ne rien faire que de tomber au-dessous de moi-même (c’est-à-dire de pas bien haut). Voulez-vous m’excuser et me permettre de ne vous envoyer quelque chose que si j’ai une idée qui me porte. Je vois de mieux en mieux qu’il n’y a d’œuvre que de nécessité. Non : je n’ai pas reçu le « Cahier de la Pléiade » dont vous me parlez. Et, si vous avez encore un « Braque ». Il me semble grandir de tout ce qu’un Picasso perd. Est-ce que je me trompe ? Mais je ne vois tout ça que de loin, de très loin. Je ne sors plus. Je suis toujours plus en dehors de la vie. Je pense avec regret au clocher de Saint-Germain, ce noir de la pierre, ces enterrements, ces mariages, ces terrasses. Dites-moi seulement comment vous allez et veuillez bien croire à ma fidèle amitié C.F. Ramuz À Monsieur Paul [4 mai 1947] Cher Monsieur Paul, Je t’écris vite avant de partir pour la clinique. Une lettre personnelle que tu tâcheras de lire tout seul. Je m’applique tant que je peux : n’est-ce pas que j’écris bien ? On doit m’ouvrir le ventre avec un grand couteau. Je vais, cette fois, dans une autre clinique, qui s’appelle « La Source » ; j’aurais bien aimé qui tu puisses venir m’y faire visite. Heureusement que j’ai de bonnes nouvelles de toi. Ta mère me dit que tu es très sage et que tu te portes bien. Que tu as commencé le traitement pour les gaz : est-ce que ça ne sent pas trop mauvais ? Cher Monsieur Paul, continue, parce que quand tu vas bien, je vais mieux et quand tu es malade, je suis malade. Tâche d’avoir bon appétit pour que je trouve du plaisir à manger. Sois sage et obéissant pour faire plaisir à tes parents qui font tout ce qu’ils peuvent pour que tu sois heureux. Écris-moi une fois. Il peut-être à cet été. Si tout va bien, je serai guéri. Je t’embrasse bien fort, cher Monsieur Paul ; embrasse, encore de ma part ton père et ta mère. J’ai écrit l’autre jour ; Maintenant je dois faire mon baluchon. Encore un bec dans ce rond. Papapa Charles-Ferdinand Ramuz ( 1878-1947) est l’écrivain le plus important de Suisse romande. Né à Lausanne, il fait des études de Lettres puis s’installe pour dix ans (1904-1914) à Paris où il étudie à la Sorbonne, fréquente Charles-Albert Cingria, André Gide ou le peintre René Auberjonois, écrit entre autres Aline (1905), Jean-Luc persécuté (1909), Vie de Samuel Belet (1913). Dès ces premiers textes, les thèmes ramuziens tels que la solitude de l’homme face à la nature, l’amour et la mort, la nature personnifiée sont déjà présents. En 1906, il fait un premier séjour en Valais, à Chandolin. Il tombe amoureux de la montagne. Jean-Luc persécuté est le premier roman dont la montagne est le décor. Peu à peu, Ramuz abandonne la narration linéaire et la multiplication des points de vue et adopte souvent un narrateur collectif et anonyme, « on ». Ses romans parlent d’ordre et de transgression, de création et de destruction, toujours d’amour et de mort. Son écriture audacieuse lui valent des critiques de ceux qui lui reprochent d’écrire mal « exprès ». Dès 1924, Grasset publie les livres de Ramuz et lui assure ainsi un succès auprès des critiques et du public. Son œuvre est aujourd’hui publiée dans la collection de la Pléiade.
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Éditeur : Editions Zoé
ISBN : 9782889072156
Parution : 2022