Éditeur : Editions Zoé
ISBN numérique PDF: 9782889070787
ISBN numérique ePub: 9782889070770
Parution : 2022
Catégorisation :
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« Je crois que je n’aime plus mon mari ». Ainsi commence La Paix des ruches, œuvre pionnière sur la condition féminine qui a secoué en profondeur les lecteurs et lectrices suisses à sa parution en 1947. Alice Rivaz y déploie l’intime pensée d’une jeune femme piégée dans le mariage. Au fil des pages de son journal et de discussions avec d’autres femmes, collègues ou amies, qui expérimentent différentes situations amoureuses, Jeanne apprend peu a? peu a? voir le monde hors des traditions auxquelles elle s’est consciencieusement consacrée tant que durait l’amour conjugal. Dans ce plaidoyer d’une lucidité rare et toujours actuel, Alice Rivaz questionne le rapport entre les sexes et dénonce la domination masculine, sans dogmatisme ou discours idéologique. Alice Rivaz est née à Lausanne en 1901 et décédée à Genève en 1998. Au cours de son activité littéraire féconde en œuvres de tous types (nouvelles, romans, textes autobiographiques), elle s’est vouée à l’émancipation féminine et à la dénonciation des injustices sociales, devenant une figure du féministe romand d’avant-garde. Publié à Paris deux ans avant Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir (1949), son roman La Paix des ruches a ébranlé lectrices et lecteurs à sa parution en 1947. En préambule, le mot de Mona Chollet, qui malgré son emploi du temps dément, a accepté de signer une préface à La Paix des ruches : "Bien reçu le livre, merci. Il est encore plus extraordinaire que dans mon souvenir ! Ce sont les analyses et les préoccupations féministes d'aujourd'hui, formulées par une femme qui commente la guerre d'Espagne... Incroyable ! Et j'adore son mélange de radicalité et de nuance, d'ambivalence." Paru en 1947 chez LUF, à Paris, La Paix des ruches fait scandale, en particulier en Suisse romande. C’est un brûlot qui dénonce la domination masculine sur tous les plans – professionnel, conjugal, social –, souligne l’ingratitude ressentie par les femmes qui cumulent un métier et la tenue du ménage, remet en question la vie commune entre homme et femme « en dehors de l’amour ». Fil rouge de cette réflexion, le journal intime de Jeanne Bornand, qui s’ouvre sur ce constat : « Je crois que je n'aime plus mon mari. » Partant de là, Jeanne s’interroge sur la pertinence de poursuivre cette aventure commune, aux côtés de cet homme qui « ne pose les yeux sur moi que pour me critiquer. Et à part la critique, il n’exprime rien, ne manifeste rien, n’a aucun égard et ne fait jamais le moindre effort pour me comprendre ou me donner la possibilité de le comprendre. » La scène où Philippe se rend compte que sa femme tient un journal intime est éloquente : « – Qu’est-ce que tu fais ? Des comptes ? – Non, non, ai-je répondu. Et je crois bien avoir rougi. – Mais alors ?… Je n’ai pas répondu, mais, comme il insistait, je me suis mise à balbutier telle une écolière prise en faute : – Je… je… j’écris pour moi… Il n’a pas compris tout de suite. Puis, brusquement, il a levé les bras au ciel, et son expression bonasse s’est couverte de cette méchante petite ironie qui toujours me bouleverse, et pas seulement quand c’est moi qui en suis l’objet, mais aussi quand elle vise les autres, car je trouve qu’une certaine ironie est un péché. Du reste la Bible ne dit-elle pas : « Gardez-vous de la langue des moqueurs. » Mais lui, détachant chaque mot : – Ainsi Ma-da-mé-crit-son-journal… Et plus vite : – Ou bien si c’est un roman par hasard que tu t’es mis en tête d’écrire ? Puis il s’est renversé en arrière dans son fauteuil, il a fermé béatement les yeux, lâché voluptueusement une bouffée de fumée de son gros cigare dont je déteste tant l’odeur, puis a ajouté d’un ton sarcastique : – Lis-moi ce chef-d’œuvre… Je suis tout oreilles. » En parallèle de la tenue du ménage, Jeanne travaille dans un office de dactylo les après-midis. Dans les bureaux où bourdonnent les machines à écrire, c’est l’occasion pour elle de côtoyer d’autres femmes, qui toutes ont un rapport différent au monde, aux hommes, à l’amour. Il y a notamment Clara, incarnation du courage, « qui gagne non seulement sa vie, mais encore celle de sa mère » ; Marguerite plus complice, « qui sait ce que j’éprouve pour mon mari, ou plutôt ce que je n’éprouve plus ». Au fil de son journal, Jeanne relate ses discussions avec les unes et les autres, nourrit sa réflexion de leurs situations. Elle évoque aussi Élisabeth, son amie d’enfance, qui malgré un mari toujours épris d’elle, a eu besoin de s’éloigner de son foyer : « Même cet homme qui l’aimait à la dévotion lui était devenu une charge, un obstacle ». Jeanne explore également la possibilité de divorcer, d’aimer d’autres hommes : « quand j’aurai moi-même divorcé, retrouverai-je un beau matin, intact, ce sentiment passionné qui me fit désirer Philippe et l’avoir à tout prix pour mari ? Ne cesserai-je jamais de retrouver des traces en moi, des traces de tout ? De rester en définitive sur place en ayant l’air de me déplacer, comme si ma vie n’était pas semblable à un fleuve qui s’écoule en traversant des contrées successives, mais ressemblait plutôt à un carré de terre donnant naissance à toutes sortes de végétations, de mauvaises herbes, de belles ou pauvres plantes qui prolifèrent ensemble, pêle-mêle. Et dès que l’une a germé une fois, puis grandi et fleuri, elle ne cesse de produire, de reproduire des fleurs, des fruits, entourée de plantes plus récentes. » « Pourtant j’attends encore quelque chose, je le sens, de cette race étrangère avec laquelle nous partageons nos demeures, nos lits, notre vie. Mais quoi ? Après l’expérience de Philippe-époux ? Après celle de Pierre M. ? Il y eut, je le reconnais, celle de Stéphane, à laquelle je n’ai pas attaché assez d’importance, parce que je n’avais que Philippe en tête à ce moment-là. Maintenant, il me faut bien l’avouer, je voudrais encore un autre amour. Mais je n’ai plus un minois de vingt, ni même de trente ans. De plus, je sais maintenant ce qui m’attend, ce qui attend tout amour dans cette vie, ce qu’il en coûte, ce qu’on peut attendre ou plutôt ne pas attendre d’un homme. Pourtant, Dieu sait pourquoi, je voudrais encore essayer un peu de leur comédie, de leur jolie comédie d’avant le lever de rideau. De leur Prologue. Car, pour eux, l’amour ne s’inscrit que dans le Prologue, dans les paroles dites devant le rideau encore fermé, et quand la pièce commence, rideau écarté, c’est de tout autre chose qu’il s’agit. Et comment voulez-vous que la pièce soit bien interprétée avec un tel malentendu entre les acteurs dès les premières répliques ? C’est que nous étions des amoureuses, et qu’ils ont fait de nous des ménagères, des cuisinières… Voilà ce que nous avons peine à leur pardonner. » Amour, mariage, divorce, place des femmes dans la société : Alice Rivaz réussit ce tour de force de soulever des questions fondamentales avec un ton d’une grande modernité pour l’époque, sans pour autant tomber dans le dogmatisme ou s’instituer en donneuse de leçon. L'auteure Alice Golay naît en 1901 dans le canton de Vaud. De son père, instituteur très engagé dans l'action sociale, elle hérite dès l'enfance d'une personnalité contestataire et d'une sensibilité à l'égard des démunis. Tandis que sa mère, épouse soumise et silencieuse, religieuse et traditionnaliste, apparaît comme l’exemple à ne pas suivre. Dans la très bourgeoise École supérieure de jeunes filles de Lausanne, Alice détonne, et c'est sans surprise qu'adolescente elle refuse le mariage, trajectoire quasi obligée pour une jeune fille de son époque et de son milieu. À seize ans, elle obtient de s’inscrire au Conservatoire de Lausanne pour se consacrer à la musique, sa grande passion. Devenue adulte, Alice ajoute à la pratique du piano celle de la dactylo pour gagner son indépendance financière, ; et en 1924, elle s'éloigne de Lausanne pour s'installer à Genève, où elle entame une carrière au Bureau international du travail. En parallèle de son emploi, Alice pratique la musique, la peinture, et aussi l'écriture : grâce à la recommandation de Ramuz, son premier roman Nuages dans la main paraît en 1940 et signe l’acte de naissance de la romancière Alice Rivaz, qui prend un pseudonyme pour dissocier activité littéraire et vie professionnelle. Suivra une œuvre féconde et protéiforme, avec entre autres Comme le sable (1946), La Paix des ruches (1947) ou Sans alcool (1961). À une époque où le monde professionnel, comme la littérature, sont essentiellement masculins, Alice est une femme qui écrit, travaille et ne dépend pas d'un mari. Comme à la ville, la romancière Alice Rivaz n'entre d’ailleurs pas non plus dans les cases, elle oscille entre manifestes et fictions, se fait la porte-parole de toutes les femmes, questionne la pertinence du mariage, l’aspiration à l’amour, le travail, la maladie, le vieillissement, dénonce également la fragilité des classes sociales démunies, s’intéresse à des personnages marginalisés car appartenant à des groupes discriminés, juifs (en particulier pendant la guerre) ou homosexuels. À deux reprises, en 1942 puis 1969, elle obtiendra le prix Schiller, plus ancien prix littéraire suisse. En 1980, elle est la première lauréate féminine du prix C. F. Ramuz, pour l’ensemble de son œuvre. En 1997, un an avant sa mort, elle reçoit la médaille « Genève reconnaissante », ville où un lycée porte aujourd'hui son nom. La préfacière Mona Chollet naît à Genève en 1973. Après une licence de lettres en Suisse, elle intègre l'école supérieure de journalisme de Lille en 1996. Elle est essayiste et journaliste, cheffe d'édition au Monde diplomatique. En 2004, elle publie son deuxième essai, La Tyrannie de la réalité, critique de la société de consommation. Mona Chollet a également publié Beauté fatale : les nouveaux visages d'une aliénation féminine (2012), Chez soi, Une odyssée de l'espace domestique (2015) et Sorcières : La puissance invaincue des femmes (2018). Pour Réinventer l’amour (2021), elle a reçu le Prix de l’essai des Inrockuptibles et le Prix européen de l’essai.
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Éditeur : Editions Zoé
ISBN : 9782889070770
Parution : 2022